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Biosphère 2, Retour sur Terre.

Biosphère fut un rêve. Un rêve démesuré financé par un magnat du pétrole dans les années 80. Un rêve prométhéen pour aller sur Mars, un jour… Si l’idée est toujours dans l’esprit des Hommes au 21ème siècle, la réalité d’une telle entreprise se fait aujourd’hui plus modeste. Presque abandonnée à la tourne du siècle dernier, car trop chère à entretenir, Biopshère 2 est devenue utile. Il n’y a donc plus d’apprentis pilotes martiens mais des scientifiques qui se relaient sans cesse. Ils disposent d’un laboratoire presque grandeur nature, unique au monde et défendent une cause noble et urgente : comprendre la planète pour mieux la soulager des pollutions multiples et des effets d’un rapide changement climatique.

Quand Edward Bass, magnat texan du pétrole, finance Biosphère 2 avec une mise de départ de quelques 200 millions de dollars, c’est pour qu’un petit groupe d’humains s’installe durablement, sans aides extérieures dans un lieu confiné. Cinq écosystèmes sont prévus en grandeur nature, dont un étonnant océan tropical et une grande ferme capable de les nourrir en légumes « frais ». L’équipe pionnière teste ainsi son aptitude aux longs voyages spatiaux. Pendant plus deux ans, 8 personnes tentent l’aventure, racontée dans un livre à succès depuis, par Jane Poynter, l’une des héros de l’aventure.

Mais ce rêve se brise au début des années 90. La crise économique change la donne. Menacée de destruction, Biosphère 2 renait de ses cendres en 1999. Une équipe scientifique de Columbia Université lui redore son blason en en expliquant au monde la mort prématurée et massive des coraux en 1998. C’est grâce à l’écosystème tropical artificiel de Biosphère qu’en effet, arrive l’explication. L’augmentation élevé du C02 dans l’atmosphère confinée de Biosphère, due à son système clos de circulation d’air, était fatale aux coraux « élevés » à Biosphère. Ce qui se révèle exact du côté des Maldives et ailleurs, en pleine nature. Fort de ce succès, Biosphère se reconvertit alors aux préoccupations plus terriennes du moment, grâce à un nouveau partenariat signé en 2007 entre l’université d’Arizona* et l’éternel philanthrope de Biosphère 2, Edward Bass.

Approche globale pour comprendre le monde

Il ne pleut presque jamais en Arizona, deux semaines par an, à peine. Rien de bien nouveau sous le soleil d’un désert âgé d’au moins 5 000 ans, mais les choses s’empirent depuis 15 ans. La ressource en eau devient très rare alors que la démographie explose. C’est pourquoi l’université d’Arizona s’est spécialisée depuis longtemps dans les sciences écologiques et la protection de l’or bleu.

Travis Huxman, professeur d’écologie et de biologie de l’évolution à l’Université prenait alors en 2001, grâce à un nouveau partenariat, la responsabilité, des programmes scientifiques de cette soucoupe extraterrestre, pour relever un défi : comprendre l’environnement. Travis s’explique : « L’environnement, c’est à la fois la température, la concentration de dioxyde de carbone, la distribution des espèces, la formation des paysages, tout cela interagit de manière complexe, avec un lien tenant l’ensemble, l’eau.  « Biosphère 2 joue deux rôles essentiels, explique encore Travis. Le premier élément est qu’elle permet de réaliser des expérimentations complexes grâce à son atmosphère contrôlée et à ses écosystèmes grandeur nature simplifiés, à une échelle suffisante pour vérifier les théories, les modèles et les concepts. Ensuite les écologistes, les hydrologues, les biologistes, les géochimistes se posent des questions similaires, mais les abordent différemment. Aussi apprendre à travailler ensemble est essentiel pour trouver des solutions. » 

Ce californien d’origine imagine alors pour Biosphère un programme cadre eau et climat, en s’appuyant sur trois piliers: les sciences de la Terre, l’éducation et la connaissance. En prime un institut sur place encourage le dialogue bien au-delà du cercle scientifique, en y associant enseignants et artistes. Le Campus, composé d’une trentaine de casitas, proposent des séjours limités. Et quelques mètres séparent ces étudiants d’un jour des laboratoires de Biosphère 2.

Biosphère 2, une machinerie vivante

L’ambiance est feutrée à Biosphère 2, sur fond de bruissement permanent des ventilateurs. Jamais de portes ouvertes et pour cause : les écarts de températures ainsi créés fausseraient les données. 55 personnes veillent quotidiennement à la bonne marche de la structure, rivées sur leurs écrans de contrôle. Une batterie d’ordinateurs relève nuit et jour la teneur en gaz de la structure et sa consommation énergétique. « Une facture au bilan carbone pas très favorable - groupes électrogènes obligent - qui coûte quand même la bagatelle à 1000 dollars par jour ! », reconnait Freeman Brooks, animateur à Biosphère. Les autres opérateurs surveillent les pompes et les tuyaux sous l’œil vigilant du technicien John Adams, cherchant à maintenir les écosystèmes à bonne température, surtout celui de l’écosystème océan dans des conditions proche de la nature, soit un million de gallons US à maintenir à température océanique et à fluidifier sans cesse.

Les visiteurs découvrent alors, outre l’océan tropical, une savane, un désert côtier, une mangrove, une forêt tropicale humide vénézuélienne, avec plus de 150 espèces végétales différentes, et pour certaines, plantées dès l’origine, 20 ans d’âge pour 18 mètres de hauteur ! Et évidemment chacun des biomes (aires de vie) a son propre système de régulation couplé température/humidité avec sa machinerie impressionnante en sous-sol.

Un laboratoire expérimental extra large

Mais Biosphère 2, c’est aussi trois laboratoires, une vingtaine de chercheurs. Comme Neil Prohaska, 30 ans, assistant de recherche à l’Université, spécialiste américain des forêts tropicales humides. Diplômé des sciences de la Terre, il est autant spécialiste du sol que des traditions culturelles latino-américaines. Sachant parler aussi bien l’espagnol que le portugais, il est au plus près des populations locales. Quand il retourne à Biosphère, c’est donc dans la forêt tropicale humide artificielle qu’il opère. Une aubaine pour Neil, que de pouvoir bénéficier d’un tel écosystème sous contrôle « ce qui est mission impossible dans la nature », précise t il.

Bien calé sur l’échelle, il installe ce jour là des dispositifs électroniques de mesure, à différentes profondeurs, le long d’une paroi verticale de trois mètres cinquante de sol bien lourd reposant sur du béton, du jamais vu sous une serre. Ces sondes mesurent la température et l’humidité en temps réel et le contenu d’une solution composée de nutriments (composés organiques) et de minusciles bêtes responsables d’échanges gazeux. C’est que ces animaux, qui pilotent ces transferts microscopiques, réagissent fortement au degré d’humidité ambiant. Et s’ils manquent d’eau, cela conduit à la stérilité des sols. Invisibles à l’œil humain, ils sont donc pourtant à la base de la résilience (pouvoir de réparation) des écosystèmes. Il est urgent d’en prendre conscience.

Katerina Dontsova, autre scientifique, biochimiste du sol, étudie de près la pénétration de l’eau dans un sol. Ukrainienne d’origine, américaine aujourd’hui, c’est une spécialiste des sols pollués. « Comment l’eau altère différemment la roche selon la nature des précipitations, changeant la donne en matière de transport de minéraux ? », s’interroge Katerina, sans avoir encore toutes les réponses. De son côté, Mitchell Pavao-Zuckerman, écologue urbain, 36 ans, cherche, à comprendre la façon dont la nature végétale croît en ville, comment en retour, l’activité humaine l’impacte. « Comment piéger le carbone, notamment à travers l’usage d’infrastructures vertes, de quelle manière la végétalisation des toits « refroidissent » les villes ? », autant de questions que se pose le jeune scientifique venu de New-York pour étudier ici, à Biosphère 2.

Le LEO, un enjeu majeur pour demain

L’avenir scientifique de Biosphère 2 est de contribuer à comprendre les impacts que provoquera l’accélération du changement climatique sur l’environnement, Humanité comprise. Voilà pourquoi, à la place de l’ancienne ferme alimentaire du premier âge Biosphère 2, l’Université a construit le Landscape Evolution Observatory (LEO program), un système de modélisation à grande échelle comprenant 3 modèles type de bassins versants.

Depuis juillet 2012, après un transfert de plusieurs millions de livres (pounds) de terre et de métal, des « bennes » géantes de 360 m2 chacune, pouvant s’incliner fortement, simulent au plus près des pentes naturelles, selon les objectifs recherchés. Dotées chacune de leur propre système de pulvérisation d’eau et bourrée de capteurs au cm2 près, ces « paysages » cherchent à répondre aux enjeux suivants : comment l’eau, l’énergie et le carbone se comportent en sous-sol. Quels sont les phénomènes biologiques à l’origine de l’évolution des territoires, et en quoi affectent-ils, en retour, le climat ? De ces réponses théoriques sortiront des modèles bioclimatiques fiables en relation avec le changement climatique. Et Travis Huxman encourage « les partenariats avec les entreprises industriels comme IBM ou Veolia Environnement pour financer les recherches. Cela donne d’intéressantes opportunités pour nos jeunes chercheurs », conclut-il.

A Biosphère 2, les savoirs transverses sont encouragés. A l’image de Neil, à la fois scientifique, sociologue et…grimpeur professionnel ! Comme Isabel, ancienne alpiniste. Elle est autant capable de grimper sur la coupole de verre de Biosphère pour la nettoyer que de plonger dans l’océan tropical de Biosphère pour récolter des échantillons. Son père, mineur, travaille tout près d’ici. Il évolue à plus de 300 mètres de profondeur, raison peut être pour laquelle Isabel a préféré s’élever dans les airs, et voir la nature d’un peu plus haut.