K-minos

Avoir 20 ans

Que veut dire « avoir 20 ans» au Brésil ? A l’heure de grandes manifestations internationales sportives prévues l’année prochaine puis en 2016, voici le portrait de neuf jeunes adultes. A quoi rêvent-ils, à quoi aspirent-ils, comment voient-ils leur avenir ? Ce sont des questions simples, universelles. Les réponses, elles, sont plus complexes, intimes. Reportage au plus près des réalités quotidiennes que ces jeunes vivent, entre espoir mais parfois angoisse face à l’avenir.

Housing, Logement

Minha casa, minha vida (programme Lula)

L’amour se lit sur le visage de Sabrina, 16 ans. Suffisamment pour que, sans l'ombre d'un doute, elle envisage un avenir commun avec Rafael, le beau jeune homme de ses rêves. Ce dimanche-là, la mère du jeune p​remier rend visite aux parents de la promise, pour la première fois, une manière d’officialiser la liaison amoureuse. Elle confesse « être très fière d’être invitée, » et découvrir enfin le trois- pièces cuisine où vit Sabrina, une réelle attraction, un évènement considérable.

C’est que la jeune fille a emménagé récemment avec ses parents dans cet appartement flambant neuf, au deuxième étage d’une petite résidence de copropriétaires. Vu du ciel, cet îlot de salubrité à la clarté architecturale des temps nouveaux tranche nettement sur les maisons de fortune de la favela labyrinthique Alemao, là où les deux familles vivent depuis toujours.

Aidée financièrement par le programme « Minha casa, Minha vida » de Lula, ce fut pour eux une douce réalité d’accéder enfin à la propriété. « Il est même inutile de nous poser la question de savoir si l’on vit mieux depuis !  », souligne son frère, jeune technicien au chantier naval.

Agriculture, food security, Agricultura organica

Bicho solto

L’arrivée au lieu-dit « l’esprit libre », Bicho solto en portugais, se mérite. Une demi-heure de piste par temps sec est un minimum pour découvrir ce lieu de la région de Téresopolis, où de petits ponts branlants enjambent quantité de sources vives. C’est à pied donc, à l’écoute des sifflets des oiseaux colorés, que l’on aperçoit les deux modestes maisons blanches dissimulées sous une végétation luxuriante, à flanc de colline.

Ici la mata atlantica est une des fiertés de la biodiversité brésilienne. Ici elle fait bon ménage avec l’agriculture. Roberto Selig, carioca d’origine, aujourd’hui âgé de 55 ans, a acquis l’endroit voici plus de 30 ans. Il prône l’agroécologie comme une solution écologique et économique durable. Le père a depuis appris l'art de cultiver à son gendre, Lucas, 22 ans. 

« Ici, les bio-agriculteurs sont capables de nourrir une population de proximité, sans meurtrir le sol qui les nourrit. Ici pas de glissements de terrain quand les pluies arrivent », explique Lucas. Mi-urbain et à demi-paysan, Lucas associe les savoir-faire techniques agronomiques tout en maintenant la biodiversité environnante.

Certains jeunes venus d’ailleurs, comme Emma, française, viennent aider Lucas et ses collègues à faire pousser fruits et légumes. Puis ils vont au marché. « C’est un petit plus financier », glisse Lucas, en se rendant à la ville voisine tous les samedis, pour vendre des produits frais aussitôt achetés.

Issu de la classe urbaine moyenne, Lucas milite pour une vie sans excès. Il est membre d’un réseau planétaire, où les jeunes du monde entier sont invités à s’y ressourcer en participant aux travaux quotidiens des champs, et en partageant surtout des valeurs communes d’équité et de respect mutuel.

La tragédie de Friburgo et…

A tragedia de Friburgo

Le temps pansera-t-il les blessures de Diego, 24 ans, victime d'une terrible catastrophe naturelle ? Nous sommes le 11 janvier 2011. Depuis des mois il pleut. Beaucoup. Les sols sont devenus meubles, faisant osciller sur leur base les énormes blocs de grès trônant en haut des pentes. La ville semble fragile en contrebas. Et c’est vers trois heures du matin que le drame se noue, que les rochers dévalent. Survient la panne généralisée d’électricité, ajoutant au bruit terrible du roulement des rochers, l’angoisse d’être isolé. On crie, on aide, on est désemparés. Des salves d’éclairs furtifs laissent entrevoir les scènes d’épouvante que vivent, hébétés, les résidents.

La rivière est furieuse. Lorsque dans la nuit les rochers bloquant temporairement les eaux cèdent sous la pression, le débit sectionne net les maisons. Diego dort, il est tiré de son lit par sa tante, juste à temps. Puis aux premières lueurs du jour le jeune homme ne reconnait plus la maison familiale. C’est un spectre éventré de béton et de briques mêlés. Diego pressent qu’il a perdu son père.

Un an et demi après, le jeune homme revient sur les lieux et depuis, les sentiments d’abandon et d’injustice le tenaillent toujours. Diego s’interroge : « Que dire des expropriations trop peu compensées financièrement, de la corruption ? » Les comités d’entraide du quartier se sont faits plus rares aussi. Où aller ? Pour Diego, aide garagiste, la pilule est amère. Au centre-ville aujourd’hui, la vie a repris ses droits. Mais le quartier Córrego Dantas, distant d’à peine un kilomètre, se replie sur lui-même et panse toujours ses plaies ouvertes. Comme Diego.

…la solidarité

Córrego Dantas, un quartier solidaire

Le jour de la catastrophe, Ariadne et sa sœur Victoria, accompagnées de Larissa, leur voisine, unissent leurs forces. Larissa se souvient: « Pas de larmes versées au plus fort du drame, même lorsque nous avons vu notre tante disparaître ». Sur le moment, priorité à l’action. Elles connaissent le terrain. Victoria, infirmière, applique les premiers pansements et Ariadne s’improvise aide soignante. Leur oncle, restaurateur, fournit les repas aux volontaires et aux blessés.  Quelques jours plus tard, le bilan est lourd: 45 décès constatés dans le quartier.

Le constat des trois amies est terrible, un an et demi après: « La solidarité spontanée est très forte tant que la confiance dans les autorités publiques l’est également. Mais sans réponse de leur part, nous nous épuisons. L’association que nous avions créée au début a permis une mobilisation. Mais nos membres se découragent aujourd’hui. »

« La solidarité publique nous permet d’aller de l’avant », témoignent les riverains. Mais depuis le tragique évènement, en juin 2012, les solutions se font attendre, les arrêtés municipaux restent flous. Les maisons abîmées doivent être détruites et les habitants refusent de les quitter. La reconstruction planifiée tarde. A ce jour, quelques bâtiments permettent de reloger les plus nécessiteux, mais c’est une absurdité pour certains : « C’est que ces nouveaux immeubles sont construits sur des terrains plus dangereux qu’ici, ce sont des éponges ! » 

Fabio, o guia de Guapimirin

Pêcheur et guide

Pêcheur dans l’âme, Fabio ne prend plus autant de poissons qu’avant. Cela l’inquiète. Comment alors continuer à en vivre ? La mangrove originelle, située à proximité, est pourtant la dernière grande zone naturelle dans la région, mais elle n’est donc plus aussi généreuse. Les eaux usées, les déchets produits en masse par la mégalopole toute proche, ont eu raison de sa générosité. Les nombreux projets industriels et immobiliers continuent aussi de grignoter le territoire « à l’inverse des discours bienveillants qui disent la protéger…durablement », s’étonne Fabio.

L'artisan pêcheur est natif de Guapimirin, un village logé au fond de la baie. De là, se devinent au loin les lumières de la ville. Fabio n’est pourtant pas un résigné. Il souhaite « concilier ce qu’il aime avec ce qu’il sait faire », confesse-t-il.  Autrement dit, pour s’adapter, il devient guide pour mieux protéger sa baie, tout en complétant ses revenus. « C’est une situation enviable et valorisante, bien qu’harassante. Je n’ai pas le choix »,  précise-t-il.

La petite plage de fortune aménagée un peu illégalement dans cette zone "protégé" se situe à la limite de la réserve naturelle. Elle permet à Luiz de mouiller tous les matins ses deux bateaux. L’un, de fortune, pour vendre son poisson, et l’autre, plus confortable, pour le plaisir des touristes. Ces derniers pourront contempler, moteur  à l’arrêt, la faune et la flore exceptionnelles encore présentes dans les canaux naturels qui pénètrent profond dans la mangrove, et prendre, à loisir, des clichés d’un monde qui disparait…

Mondialisation

Vitor, un jeune homme bien éduqué

Vitor vit à Flamengo, l’un des quartiers les plus huppés de Rio. Il aime la musique, les arts, le graphisme et le design, toutes les belles choses transmises par sa mère, architecte de profession. Et comme elle, Vitor se destine à au même métier.

Ses parents dépensent sans compter pour son éducation. Fréquentant l’école privée, il bénéficie d’un programme fourni d’activités extra-scolaire : le sport et langues étrangères surtout. De l’avis de ses parents, l’école publique, de 6 ans à 18 ans, a ses limites pour former les têtes bien faites. Mieux vaut faire donc des « heures supplémentaires » dès la plus jeune enfance, pour ensuite accéder aux facultés gratuites fédérales. Ainsi Vitor perfectionne même sa deuxième langue lorsque ses parents lui proposent deux stages, un à Londres, puis l’autre aux Etats-Unis. Un passeport obligé, disent-ils, pour affronter le monde de demain.

Vitor, à 18 ans, est déjà un habitué des aéroports où les boutiques de luxe côtoient les panneaux d’affichage indiquant les destinations lointaines. Un décor de la mondialisation. Le jeune homme veut être en phase avec ce monde sans frontières. Le métier d’architecte en est à ses yeux le parfait symbole.

Pour obtenir son diplôme, Vitor passera les 5 prochaines années à étudier de l’autre côté de la baie de Guanabara, à Niteroï. C’est une université réputée, très sélective quoique publique. Mais beau gosse, il aime surtout flâner avec ses copains le long des grandes plages de Copacabana. La vie semble lui sourire.

L’énergie à disposition

Luz para todos

A la favela Santa Marta, le dialogue des résidents (2090 habitants) avec l’unité de police locale de pacification porte ses fruits. Moins de violence, et les traces de balles, encore visibles sur certaines façades, ne sont aujourd’hui montrées aux touristes que pour témoigner d’un autre temps. Avec la pacification est venu aussi le temps de l’électricité plus facile, avec le confort d’en disposer 24h/24. « Mais la facturation à domicile ne va pas de soi »,  explique Paolo, 27 ans, résident et adepte du programme « light recicla », une initiative combinant réductions tarifaires d’énergie électrique et gestion raisonnée des déchets.

 «  L’adhésion populaire à l'abonnement des services n’est pas simple », constate Paolo. « Il est difficile de trancher entre le risque assumé de subir des coupures d’électricité mais d’en disposer gratis, avec la proposition d’un service fiable mais facturé. La note d’électricité, depuis l’installation des compteurs individuels à 80 reals, s’envole à 120 reals, une charge bien trop lourde pour la majorité des résidents »,  poursuit Paolo.  Le programme « Commundade efficiente » associant recyclage et allègement de facture est né de ce constat.

Calculette en main, de jeunes volontaires de ce programme convertissent rapidement le poids des déchets dûment triés entre les plastiques, le verre et les papiers, en autant de ristournes pour les jeunes abonnés au réseau électrique, lorsque ces derniers apportent leurs déchets aux endroits localisés par le programme. Une jeune personne explique cependant « que c’est quand même beaucoup de travail, pour peu d’économie. Que bien sûr ce sont les « professionnels » qui s’en sortent encore le mieux, en venant après les fêtes apporter leurs nombreux déchets ! »

Néanmoins les premières statistiques sont encourageantes. D’après un jeune volontaire, en service ce jour-là, ordinateur à l’appui,  48 tonnes de déchets ont été recyclés dans la favela, soit une moyenne de 5 tonnes par mois depuis le lancement du programme en 2011. Près de 80 % des résidents ont joué le jeu, et l’opérateur a redistribué sous forme d’avoirs quelques 50 035 réals aux résidents impliqués. Les chats, eux, font grise mine : avec moins de sacs en plastique à déchirer...moins de nourriture.

L’eau, source de bien-être

Ao Piscinao de Ramos,

Aux beaux jours, la piscinao de Ramos est assourdissante, débordante de vie, surtout aux heures les plus chaudes de la journée. Cette piscine populaire est en fait une grande mare salée, faisant quatre cents mètres de long pour cinq cents mètres de large. Mais son eau turquoise contraste étrangement avec celle de couleur bien plus sombre et immobile de la baie de Guanabara, une zone triste située de l'autre côté du talus. Et là-bas, pas de fréquentation humaine, seuls quelques oiseaux marins s’y aventurent, inconscients des dégâts des hommes. 

Thaina (21 ans) a toujours fréquentée cette piscine. Elle y passe souvent ses dimanches, une demi-heure suffit pour s’y rendre. Un lieu de vie voulu par les autorités municipales pour offrir aux résidents un peu de détente, frustrés depuis longtemps de ne plus pouvoir se baigner dans la baie toute proche, gravement polluée. Y venant surtout les jours fériés, Thaina observe toujours le même rituel : un tour d’abord les pieds dans l’eau puis elle s’allonge pour tenir des conversations de son âge, avec éclats de rire garantis.

Thaina oublie ainsi « l’autre côté ». Cachée par le remblai aménagé lors du creusement du bassin, la baie de Guanabara joue les fantômes. Les enfants n’osent s’y aventurer. Glisser un pied téméraire sur la plage abandonnée leur est rigoureusement interdit, et les mères veillent.

Là, la pollution s’y montre crue, violente, avec, en arrière-plan, les paysages bitumés d’une urbanité sans âme. Mais parfois, l’envie est trop forte de retrouver la mer : Thaïna se rend alors à la plage de Copacabana… en transport collectif. Plus de trois heures pour s’y rendre, sans compter le retour.